Pendant des années, Léon Bourjade s’adressera à sainte Thérèse dans des petits carnets noirs qui l’accompagneront partout. Ces textes précieux sont un témoignage direct des pensées de l’aviateur, bientôt prêtre. En voici des extraits choisis.
Un jour, alors qu’il lit une brochure des Prêtres soldats, Léon Bourjade y découvre une prière intitulée Je désire mourir. Il écrit dans son carnet :
Bien belle prière. Demain je la collerai en tête de ce carnet après une seconde lecture.
Et c’est bien en tête du carnet qu’on la retrouvera.
Le 28 mars 1910, Léon Bourjade copia dans son carnet l’acte d’offrande de sainte Thérèse s’offrant comme victime d’holocauste à l’amour miséricordieux. D’une écriture appliquée, il inscrit les mots immortels :
Afin de vivre dans un acte de parfait amour, je m’offre comme victime d’holocauste à Votre amour miséricordieux, Vous suppliant de me consumer sans cesse, laissant déborder en mon âme les flots de tendresse infinie qui sont renfermés en Vous, et qu’ainsi je devienne martyre de Votre amour, ô mon Dieu !
Treize années plus tard, le 6 juillet 1923, à Maia’éra, sous l’éclat moite du jour équatorial, dans les boues de la côte papoue, Bourjade consigne sur son carnet :
Je viens de relire mon acte d’offrande copié sur le vôtre… Le papier en est bien jauni, bien déchiré. il servait d’enveloppe à vos cheveux, ma chère petite relique. Je vais brûler ce papier et recopier au moins la fin ici, en renouvelant le don complet de moi-même.
Le 22 janvier 1916 :
“J’ai traversé le champ du paresseux et le vignoble de l’insensé. Et les orties l’avaient entièrement envahi, les épines en couvraient la surface et le mur de pierres était écroulé.”
J’ai retiré cette citation de l’Écriture Sainte, de la belle exhortation au clergé de Sa Sainteté Pie X. Cette phrase s’adresse droit à mes tendances et je tâcherai de la relire pour m’éclairer sur ma conduite spirituelle.
16 décembre 1916 :
Venez m’aider à voir où j’en suis. Comme j’ai mal tenu ma résolution de venir me retrouver souvent avec vous… L’année va finir. Aidez-moi, par votre puissante intercession, à bien utiliser les quelques jours qui me restent.
Ce soir je monte aux tranchées. Sœur Thérèse, gardez-moi tout au Cœur de Jésus.
Quelques jours plus tard :
L’artillerie allemande m’a, à plusieurs reprises, manqué de bien peu.
1° Un obus français, un 220, éclate à trois mètres de moi, ébranlant toute la tranchée.
2° Dans la forêt de Hesse, un obus allemand tombe à quelques mètres de moi. J’étais à cheval. Il fallait s’attendre à de nombreux éclats pour nous deux. L’obus n’éclate pas.
3° C’est l’une de mes plus dures équipées, une patrouille aux barbelés allemands. Voyage d’aller : parfait. Mais l’ennemi me voit à dix mètres de ses lignes. La nuit était trop claire. Aussitôt, fusillade, grenades, fusées, etc. Je m’aplatis, je rampe de trou en trou et me hâte vers notre tranchée sur les genoux et sur le ventre. Tout d’un coup, une idée m’arrête… Il s’agit de vérifier si ma direction est bonne, et, avec la nuit, cela n’est pas facile. Alors presque aussitôt une fusée allemande part devant moi, juste dans la direction que je suivais. Je suis sauvé ou presque. Je m’élance à nouveau, dans la bonne direction cette fois, et enfin, complètement fourbu, je saute dans notre tranchée…
Et combien de fois encore, obligé de circuler sous les obus qui tombaient partout, je suis passé sous votre garde, sans qu’un éclat m’atteigne.
16 juillet 1917 :
Aujourd’hui encore vous venez de me sauver la vie. Pour en garder le souvenir, je vais vous raconter comment vous m’avez protégé ce soir…
Et d’abord, pardonnez-moi de ne pas vous avoir encore offert sur ce livre de souvenirs ma carrière dans l’aviation. Je l’ai désirée pour le service du Cœur de Jésusaux Gilbert, s’il lui plaît qu’on utilise ces beaux appareils à son service.
Ce soir, à mon premier tour seul, sur Nieuport vingt-trois mètres, je descendais moteur coupé, un peu préoccupé de mon terrain, lorsque, à huit ou dix mètres de moi, j’aperçois une double commande qui m’arrivait dessus. Il n’y avait rien à faire, qu’à attendre et espérer un croisement providentiel. Et nous nous sommes croisés en effet. La queue de mon appareil est passée sous l’aile de l’autre. Mais comme mon cœur battait fort ! Ma pensée était pleine de vous. Oui, c’est bien vous qui avez inspiré au pilote de l’autre appareil – une âme qui vous aime beaucoup aussi – de cabrer rapidement, ce qui a permis que le croisement se fasse.
Plus tard, toujours en 1917 :
Me voici au front, et je ne vous ai pas encore offert tous mes vols, tous les combats que mon devoir va demander. Je les ai déjà, il est vrai, offerts à Dieu et à vous dans mes prières dès le premier jour, et je suis plein de confiance en votre protection.
Je vous demande qu’il me soit permis de garder votre portrait extérieurement sur la carlingue de mon Nieuport, bien que le règlement s’y oppose, paraît-il…
27 janvier 1918 :
Je viens réclamer encore votre secours… Mais il faut que je vous remercie d’abord pour toutes les bénédictions, toutes les grâces que votre intercession m’obtient… C’est la facilité que j’ai eue de fixer et de garder sur mon appareil votre chère image, qui dit à tous ma confiance en vous.
À trois reprises, mon moteur s’est arrêté en cours de vol, mais chaque fois cela s’est passé à proximité du terrain, ce qui m’a permis d’atterrir…
En ce moment j’ai de nouveau recours à vous… J’avais demandé à l’œuvre du Fanion du Sacré-Cœur une flamme pour avion. Cette flamme est arrivée, et maintenant, j’ai le plus grand désir de la faire flotter dans les airs au-dessus de moi. Obtenez-moi le courage, d’abord d’arborer dès demain mon petit drapeau, et le courage de me battre contre l’ennemi sans faiblesse.
Le lendemain, la flamme du Sacré-Cœur déployée sur son Nieuport… Bourjade s’envole vers l’ennemi.
Voici quelques autres extraits de ses petits carnets.
Je pense à nos pauvres morts. Je prie si peu et si mal pour eux. Sœur Thérèse, je vous les recommande ; en, particulier de F… et M… Hélas ! où est leur âme ? J’espère que Dieu aura pitié d’eux !
Je vous recommande mon frère Paul, mes frères missionnaires du Sacré-Cœur qui sont tombés…
Et puis, Sœur Thérèse, tous les pauvres soldats de France.
Un paragraphe sur son courage…
Voici comment Jésus me fit reconnaître le néant de mon courage. Certes, je ne me suis jamais vanté de cette anecdote, lorsqu’on me demande de raconter “mes exploits !”.
Le sort m’ayant désigné, j’ai dû, une nuit de décembre, patrouiller vers les réseaux allemands. Je me suis mis en route avec quelques fantassins, assez peu rassuré, la mission me semblant plutôt périlleuse après les tirs continuels de la journée dans cette région. Bientôt un homme fait un signe, et nous nous aplatissons dans un trou d’obus. Devant nous des ombres remuent. Je les crus très près et me sentis pris à la gorge d’une frousse intense. Les hypothèses les plus effrayantes ont bientôt fait de m’enlever mon mince bagage de sang-froid, et, le premier de tous, je parle de rétrograder, considérant l’exécution de l’ordre comme impossible.
Après cela, ma bravoure m’était connue, et vraiment je n’ai pas lieu d’être fier si, dans la suite, il a plu au Cœur de Jésus de se servir de moi, pour porter le nom de son clergé.